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Sgt. Mark Gallgher Vocational School

Haïti rend le cœur humble : Dans son troisième et dernier rapport de ses expériences vécues lors de sa visite en Haïti, Richard Blaquiere offre sa vision actuelle de ce qu’il espère deviendra l’emplacement de l’école professionnelle en mémoire du Sgt Mark Gallagher.

La semaine dernière nous sommes allés de l’aéroport, en passant par Port-au-Prince et Carrefour, jusqu’à la route qui devait se terminer à l’emplacement de notre école.

Nous avons commencé notre ascension vers Rivière Froide et l’emplacement de la future École de formation professionnelle en mémoire du Sgt Mark Gallagher avec le cœur lourd, rendu humble par ce que nous témoignions dans les rues plus bas.

Nous étions deux parmi des dizaines de milliers venus à cet Haïti ravagé par la nature dans le but d’apporter de l’aide de toutes les façons possibles. Certains sont venus pour reconstruire des hôpitaux et des orphelinats. D’autres sont venus pour soigner les gens. D’autres encore sont venus pour partager leur foi et prier avec les Haïtiens pour qu’ils aient la force de continuer. Nous sommes venus pour construire une école.

L’étendue de la destruction m’a rendu humble; l’ampleur du travail à faire m’a aussi rendu humble. La foi des sœurs qui passaient leurs journées à travailler avec les paysans de Rivière Froide devait bientôt me rendre encore plus humble.

La force et la foi des Haïtiens eux-mêmes m’ont rendu humble; leur profonde et incessante croyance en un Dieu d’amour et de miséricorde m’a rendu humble; leur patience m’a rendu humble; leur souffrance m’a rendu humble.

Les rues et les chemins fourmillaient de gens affairés à rester en vie. Cette dévastation a diminué de façon significative dès que nous avons commencé à monter. Des gens dispersés marchaient çà et là, la plupart d’entre eux transportant un morceau de leur vie qui les aiderait à accueillir le jour suivant. Certains transportaient de la nourriture, souvent dans des ballots ou des paniers en équilibre précaire sur leur tête. D’autres transportaient du bois à brûler ou tiraient ou poussaient des traîneaux ou des brouettes de fortune remplis de lourds sacs de charbon de bois jusqu’à ce qui passait maintenant pour leur maison. J’aimerais dire que, malgré le dur travail et la misère, je voyais des sourires partout; mais je mentirais.

Nous n’aurions pas vu l’ancienne école, le Collège St-François de Sales où 144 enfants et 6 adultes ont péri, si ce n’avait pas été de Reginald Sorel, notre partenaire de l’AQANU, qui nous l’a fait voir.

Bien qu’une grande partie des décombres aient été enlevée, il restait des pierres de diverses tailles. Ainsi, plutôt que des montagnes de débris, nous pouvions voir de la pierre transformée par des hommes ou de la machinerie après le choc et le désastre du 12 janvier.

On pouvait voir des restes de cette école répandus partout. Mais on ne pouvait trouver aucune preuve de l’existence d’un bâtiment qui y avait pris place. Pourtant il y avait des ombres et des indications que des enfants avaient occupé ces lieux.

Il y avait deux pupitres d’école élémentaire en bois à quelques mètres de l’enseigne de l’école, arborant une image d’un Mickey Mouse souriant qui indiquait l’école du doigt avec le mot « Bienvenue ».

Des papiers, des cahiers, des résultats d’examens avec des signatures jonchaient le sol. Plus tard cette fin de semaine-là, j’ai ramassé de ces papiers en me demandant si les propriétaires des mains qui les avaient signés verraient encore des points leur être alloués pour leurs apprentissages.

Ruben Jolidia avait obtenu 60 pourcent pour un examen de latin de 9e année. Avait-il survécu ? Ses parents avaient-ils survécu ? Ses frères et sœurs avaient-ils survécu?

Tout le monde avait des parents à Haïti. Tous ne peuvent pas en dire autant maintenant. Tous les corps des enfants disparus n’avaient pas encore été retrouvés et tous les gens qui passaient à cet endroit en étaient bien conscients. Pensez à ça pendant un moment.

Les sœurs vivent à l’intérieur d’une enceinte à courte distance de l’école. Il ne reste que des fragments de pierre et de souvenirs du mur de sécurité qui entourait l’enceinte auparavant. Ce mur devra être reconstruit avant même que quoi que ce soit d’autre ne commence.

Un noviciat où des candidates à l’ordre des Petites Soeurs de Sainte-Thérèse étaient logées et faisaient leur apprentissage pour leur vie au service de Dieu et du peuple haïtien a aussi été détruit. Ce noviciat doit être reconstruit ainsi qu’un bâtiment pour l’administration. Ce dernier ainsi que le mur de sécurité sont les priorités qui vont déterminer quand la construction de l’École de formation professionnelle en mémoire du Sgt Mark Gallagher va débuter.

Les personnes que les sœurs servent sont des paysans de la campagne environnante qu’on peut voir dans le paysage depuis le coin de l’enceinte où Brent Shaw et moi avons partagé un côté d’une tente à deux chambres (Brent Shaw, ancien président de l’Association des enseignants du Nouveau Brunswick et membre du comité de collecte de fonds pour construire l’école, accompagnait Blaquiere lors du voyage à Haïti).

Nous n’utilisons le mot paysan que très rarement en occident exception faite des leçons sur le Moyen Âge dans les cours d’histoire. Mais le terme se prête très bien au contexte qui nous intéresse ici. Les Sœurs vivent parmi ces paysans, plusieurs d’entre eux naissant même auprès d’elles. La plupart d’entre elles mourront aussi parmi ces paysans, comme ce fut le sort de certaines des leurs le 12 janvier.

Notre camion s’est arrêté juste devant une barrière de fortune faite de toile suspendue sur une corde à linge en travers du chemin. Deux personnes étaient assises à une petite table à cartes. Nous avons traversé la barrière, tourné à un coin où on a aperçu une bâtisse de trois étages, entièrement intacte, et qui était la résidence des Sœurs.

Plusieurs tentes étaient montées ici et là sur le terrain près des sentiers menant aux entrées de la bâtisse. La structure de cette bâtisse avait été jugée solide par des ingénieurs qui avaient réussi à se rendre sur ce site quelques jours après le cataclysme. Et pourtant, une grande partie de cette construction demeurait vide.

Les sœurs avaient vécu en résidence au troisième plancher avec leurs propres petites chambres et des installations pour les gestes routiniers personnels de la vie, leur donnant ainsi un semblant de sécurité, d’intimité et de confort personnel.

Maintenant, la plupart étaient entassées dans un grand hall du deuxième étage. Des lits simples bien faits et des tables de chevet en ligne marquaient désormais leur espace personnel.

Plusieurs sœurs étaient traumatisées par le tremblement de terre à un point tel qu’elles refusaient d’entrer dans la bâtisse ne serait-ce que pour manger. Elles dormaient dans une ou l’autre des tentes qui servaient d’annexes à la structure principale.

Il y avait une salle à manger au deuxième étage où nous avons mangé de délicieux repas de chèvre et de poulet avec beaucoup de fruits frais et quelques légumes.

Les sœurs produisaient tout ce qu’elles consommaient incluant les chèvres et les poulets. Le samedi, nous avons rencontré notre repas du dimanche avant même qu’il ne soit récolté : deux poulets qui poussaient des cris, la tête en bas, dans les mains de la jeune personne qui travaillait chez les sœurs en échange de nourriture et de logement.

Au sujet des soeurs

Ces soeurs sont des femmes incroyables, des êtres humains incroyables. La plupart d’entre elles ont grandi dans la pauvreté. Une chose intéressante, par contre, est qu’une fois que nous avons commencé à connaître celles qui avaient été assignées pour travailler avec nous sur ce projet, nous avons découvert que presque toutes avaient étudié à l’étranger.

Sœur Gisèle a étudié à l’Université Laval de Québec et à l’Université d’Ottawa. Sœur Lops revenait juste d’un séjour de six ans à Rome. Et Sœur Bernadette a complété son diplôme universitaire à White Plains, New York.

Elles sont des femmes brillantes, compétentes, passionnées et engagées, et déterminées à servir Dieu. J’ai acquis un grand respect et une profonde affection pour elles.

Le samedi, elles sont allées au marché et en sont revenues avec des denrées de base incluant une caisse de 24 bières « pour les Canadiens ».

Elles faisaient leur propre beurre d’arachide et confitures. Elles cultivaient des raisins et produisaient le vin de messe. Une de sœurs possède un diplôme de conservatrice de musée et elle était l’archiviste pour l’ordre.

Tout près de la bâtisse principale, il y avait un foyer pour les soeurs âgées et pour les mourantes. Ces dernières ont survécu au tremblement de terre et un petit groupe de sœurs étaient désignées à leur chevet.

Avant le tremblement de terre, il y avait du courant électrique mais maintenant, tout le travail était fait sans électricité ou eau courante. On utilisait une génératrice pendant quelques heures à tous les soirs pour puiser l’eau et préparer de la nourriture pour le lendemain. L’Internet sans fil était disponible mais il était lent et avait besoin d’électricité pour fonctionner.

Après que la génératrice ait été éteinte le soir, alors qu’il n’y avait plus d’électricité et très peu d’automobiles en marche, les seuls bruits qu’on pouvait entendre, autre que la conversation ou les déplacements des gens, étaient les bruits de la nuit.

On pouvait voir des coqs, des poulets, des chiens et des chèvres un peu partout. J’imagine que chacun d’entre eux s’organisait avec sa propre existence à sa façon, mais laissez-moi vous parler des coqs.

Un réveille-matin vivant

Étant donné que je dormais jusqu’à ce que le premier coq chante, je ne peux pas dire s’il s’agissait du même coq qui déclenchait le chœur à tous les matins à 4h30, ou s’ils se relayaient, ou encore si le premier éveillé se mettait à chanter, mais je peux vous dire que c’était quelque chose.

Des chants venaient de tous côtés et c’était tellement aléatoire, tellement spontané et tellement drôle. Les coqs éveillaient les chiens qui se mettaient à japper et les gens se réveillaient à leur tour, et avec les premières lueurs du jour, le cycle de survie pour les paysans commençait de nouveau.

La douche était prise sous un baril d’eau de pluie et je regardais les lézards grimper sur les murs pendant que je me séchais. C’est par un samedi matin semblable qu’on a visité le site de l’école avec sœur Gisèle.

À 9h, il faisait déjà extrêmement chaud et humide. Sœur Gisèle, la sœur principale de l’ancien Collège St-François de Sales, nous a montré où l’école était et où elle le serait encore et où elle pensait que l’École Sgt Mark Gallagher devrait être.

Pendant que nous marchions, d’anciens et futurs élèves ont accouru pour étreindre la sœur et pour qu’elle les étreigne elle aussi. Elle n’a pas fait mention de l’école, mais elle a juste dit que nous étions des Canadiens venus pour aider.

Pendant que nous faisions cette courte visite, nous avons aperçu des gens qui se tenaient en ligne près de la chapelle. Sœur Gisèle a alors expliqué qu’il s’agissait d’une clinique de fortune composée d’une équipe de médecins de l’ONU qu’on attendait vers midi. Certaines personnes étaient parties de chez elles la veille et avaient marché toute la journée et une partie de la nuit.

Ils avaient dormi dehors près de la chapelle-clinique. Au-dedans, les sœurs tentaient en fait de déterminer lesquels d’entre les nécessiteux étaient le plus dans le besoin et essayaient de les préparer pour les médecins. L’équipe arrivée, on vit le médecin-chef de la délégation, un espagnol d’une cinquantaine d’années. L’équipe devait repartir le lendemain et il s’agissait maintenant de sa dernière visite.

Tout compte fait, on peut dire qu’il s’agissait d’un groupe composé de volontaires étrangers venus à Haïti avec la détermination de faire ne serait-ce qu’une petite différence dans l’immensité de la souffrance dont ils étaient témoins.

Le partage de la messe

Le dimanche matin je voulais aller à la messe; je dirais même que j’en avais besoin. C’était important pour moi en tant que catholique, mais aussi parce que je ressentais une profonde affection pour ces gens. Je voulais être avec eux, pour chanter avec eux et prier avec eux.

Trop de fidèles refusaient d’entrer dans la chapelle à la suite du tremblement de terre. Alors, la messe était dite dehors en face de l’école.

Je suis arrivé pendant que les gens réunis récitaient leur chapelet guidés par une sœur très passionnée. Dans la soixante, elle priait en créole et, malgré le lien qui existe entre le créole et le français, je comprenais très peu.

M’ayant remarqué, elle trouva le moyen de m’apporter un missel et me montra du doigt un endroit sur la page tout en récitant la prière. J’ai vu l’endroit et je me suis joint au groupe. Ce fut un moment très fort pour moi. Les membres de la mission de l’ONU sont arrivés avant que la prière ne soit finie et la messe a commencé peu après.

Je ne sais pas comment ils ont réussi à faire ça, mais tous les enfants comme tous les adultes étaient vêtus soigneusement avec des vêtements très propres. Juste devant moi, il y avait une très belle petite fille de trois ou quatre ans vêtue d’une robe jaune éclatante avec, dans les cheveux, des épingles et des broches de toutes les couleurs.

Son petit frère n’arrêtait pas de me fixer. Alors, j’ai commencé à faire des grimaces et de jouer à cache-cache avec lui. Sa mère en avait plein les bras mais n’a jamais élevé la voix et les enfants sont redevenus sérieux lorsqu’elle leur a dit de le faire. Je me suis demandé si le père de famille avait péri dans le tremblement de terre.

Le prêtre a dit la messe en français, en espagnol et en anglais. À plusieurs reprises durant la célébration, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Le seul fait d’être parmi ces gens, à cet endroit et à ce moment-là, me touchait profondément. Les paroles du prêtre m’ont aussi affecté de manière inattendue. La chorale d’enfants, dirigée par un beau jeune garçon de 14 ou 15 ans, a chanté durant toute la célébration et à chaque fois que leurs voix se sont élevées vers le ciel et la gloire de Dieu, j’ai pleuré.

Jamais je ne m’étais senti autant engagé.

Nous sommes partis le lendemain matin. Mon récit a commencé avec mes larmes il y a trois semaines et j’ai bien peur de devoir vous laisser sur cette note.

La saison des pluies a commencé dans la soirée, ce samedi-là. Il a plu intensément pendant deux ou trois heures et la pluie a dévalé les pentes dans les tentes des paysans qui avaient remonté un peu le flanc de la montagne pour s’éloigner de la confusion plus bas. La même chose s’est produite le dimanche soir.